mars 13, 2025 13 minutes minutes read Admin

Hacker la pensée "politique" : de l'endoctrinement des foules

Nous sommes passés en quelques années d'une confrontation d'opinions sur le Net à un affrontement idéologique confinant à la propagande aveugle.

Le hackerisme a une vertu principale : celle d'oser retourner (dans tous les sens) des procédés. Des procédés techniques, mais pas seulement. Des concepts. Des idées aussi. Des pensées et pratiques politiques. 

C'est l'objet de ce billet. 

L'affrontement 2.0 en 2025

Nous sommes passés en quelques années d'une confrontation d'opinions sur le Net à un affrontement idéologique confinant à la propagande aveugle. La nuance entre ces deux phénomènes est importante — à mon sens — à analyser. Les bulles de filtre — désormais bien connues — forçaient des foules numériques à conforter leurs opinions pour ensuite, quand c'était possible à les confronter à d'autres foules, prises dans d'autres bulles de filtre. Ces arènes en ligne, où chacun pense défendre la bonne façon de voir un sujet, en y adhérant ou au contraire en contestant son contenu, ont progressivement dérivé de l'affrontement d'opinions (un avis, souvent peu argumenté) à l'affrontement idéologique. Et depuis peu, à la simple défense idéologique univoque, évacuant souvent la confrontation au profit de l'adhésion collective de masse.

Le principe du forum en ligne, apparu dans les années 90 est à l'origine des plateformes dites de réseaux ou médias sociaux. Facebook, X, TikTok, pour ne citer que ceux-là, offrent une version modifiée du forum et de l'IRC, mais basée sur un principe similaire : échanger des messages de tous types, en cascade. Mais une différence centrale avec ces outils des balbutiements d'Internet et du World Wide Web a été au centre du succès des réseaux sociaux : la non spécialisation, l'unicité du flux (timeline) et la visibilité globale quasi généralisée (échanges publics, avec tous les utilisateurs de plateformes réunissant des millions ou milliards d'utilisateurs). Les fameux algorithmes de "recommandations" ont donc vu le jour et permis à ces plateformes d'orienter leurs utilisateurs pour capter leur attention, les faire rester connectés le plus possible, les inciter à offrir le plus de données possibles. Durant plus de 15 ans, les arènes numériques ont modifié les comportements des individus comme les foules qu'ils constituent. Et nous sommes arrivés en 2025 à une nouvelle forme de fonctionnement sur ces plateformes : l'affrontement d'opinons contradictoires a basculé en majeure partie vers la revendication idéologique, l'adhésion à des doctrines politiques, radicales le plus souvent.

Du partisanisme à l'endoctrinement

Depuis l'élection de Donald Trump — en partie obtenue grâce au soutien d'Elon Musk et de son réseau X — l'idéologisation des débats est devenue une sorte de règle implicite sur les réseaux sociaux. Cette idéologisation des esprits, qui transpire désormais dans la plupart des contenus postés en ligne, peut être observée sur plusieurs fronts et analysée par différents facteurs. Mais un concept central ressort, selon moi : celui de l'endoctrinement des foules. L'adhésion à une doctrine politique ou religieuse — voire les deux confondues — prévalent en 2025, puisque la plupart des doctrines politiques défendues sont le plus souvent de l'ordre du dogme et donc de l'adhésion à une croyance. Même si ceux qui y adhèrent ne le savent pas ou ne l'admettent pas.

Analyser les contenus postés sur X, BlueSky, Youtube ou TikTok et les réactions qu'ils engendrent permet de vérifier la thèse des endoctrinements en cours actuellement. Des endoctrinements variés et souvent radicalement opposés. Certains pouvant même se créer en réaction à d'autres. Ainsi, les thèses libertariennes et conservatrices (ce qui n'est plus contradictoire aujourd'hui) défendues par Musk sont devenues l'idéologie défendue par des foules électrisées aux USA, qui s'appuient sur un dogme désormais bien établi et simple à résumer : le progressisme porté par la doctrine woke doit être éradiqué parce qu'il est le cœur de l'effondrement de la société américaine. Un effondrement des mœurs, des traditions, des valeurs familiales et de l'Amérique et par ricochet, de l'économie (gaspillage et détournement des fonds fédéraux), et de la société dans son ensemble, au final. Trump et Musk ont poussé ce dogme tellement loin qu'ils ont réussi à endoctriner des millions d'Américains à ne jurer que par cette croyance jusqu'à la soutenir aveuglément, surfant sur un phénomène réel qui est celui de l'endoctrinement opéré auparavant — et toujours en cours — dans le camp des défenseurs du "progressisme woke" et de la cancel culture. En France, le phénomène est le même, entre les détenteurs de la foi progressiste (gauche radicale) et ceux de la foi conservatrice (droite radicale et extrême droite). Ce qui autrefois était une forme d'approche partisane s'est donc transformé en autre chose. Et c'est là que nous entrons dans une impasse très inquiétante.

Valeurs traditionnelles ou éveil au nouveau progressisme  : l'important c'est la foi

Le wokisme, même s'il est considéré en France comme un terme péjoratif (par les progressistes eux-mêmes) est pourtant une doctrine (américaine) partagée par une très grande majorité de militants de la cause dite "progressiste", déclarée "de gauche". Ses termes sont simples à comprendre mais comme pour tout dogme ou doctrine, il est nécessaire d'y adhérer intégralement sous peine de se voir excommunié et renvoyé au camp opposé, celui des réactionnaires (de droite). La Défense de la cause LGBTQIA+, des personnes racisées, la lutte contre l'inégalité de genre et le patriarcat, la reconnaissance de la non-binarité, l'intersectionnalité, les politiques d'inclusion, la lutte contre le dérèglement climatique, l'écoféminisme en sont les principaux concepts. Cette doctrine devenu dogme a ses figures intellectuelles, universitaires, personnels politiques pour la porter. Elle se caractérise — comme tout dogme issu d'une doctrine — par une obligation d'adhésion et un refus intégral de la moindre contestation de ses différents fondamentaux. Critiquer — même à la marge — un seul point constitutif du dogme progressiste est considéré comme une forme d'hérésie, pointée comme une volonté de nuire et donc de détruire la cause déclarée progressiste. Ou de défendre le monde de la domination patriarcale, raciste, réactionnaire, conservateur, anti-écologie et potentiellement fasciste. 

Ceux qui adhèrent à la nouvelle doctrine réactionnaire, libertarienne et traditionaliste ont aux aussi une foi sans borne. Ils sont d'ailleurs — depuis peu — analysés comme des "wokes de droite". Leur doctrine, décrite plus haut pour les États-Unis d'Amérique, est en France un peu différente mais fonctionne de la même manière : le camp opposé a renforcé leur lutte et leur a permis d'être éveillé (woke) sur les grands problèmes à résoudre et le changement de société à opérer. Le dogme des wokes de droite de la même manière que le camp des wokes de gauche opère une opération par essentialisation du monde et de ses difficultés : tous les problèmes sont causés par quelques problèmes centraux qui une fois résolus permettront d'atteindre un optimum de société, ce qui est nommé "l'âge d'or" par les trumpistes. L'État profond, l'immigration et la culture woke de gauche s'ils sont détruits, sauveront l'Amérique. En France, la doctrine porte sur la lutte contre l'immigration, le retour et la protection des valeurs de la famille, des traditions, de la souveraineté nationale et de la lutte contre le gauchisme woke et les "globalistes". Ces derniers sont incarnés par les institutions européennes, la Franc-Maçonnerie, la plupart du temps et des figures comme Georges Soros et Klaus Scwhab.

Doctrines politiques et platistes, même combat

Ces deux camps doctrinaires politiques (woke de droite et de gauche) fonctionnent d'une manière très similaires aux platistes. Le dogme platiste a réussi — tout a fait sérieusement — à convaincre des foules de quelques millions de personnes sur la planète, que la complexité physique de l'astronomie était une ruse d'un camp opposé qui voulait lui cacher la réalité. Les platistes se basent sur les études d'un Anglais du XIXème siècle qui aurait vérifié avec une lunette astronomique sur un canal de très grande longueur que si la Terre était un globe, sa courbure —selon ses calculs — devrait empêcher de voir une embarcation à une distance établie. L'embarcation étant toujours visible à l'observation — alors que selon ses ses calculs elle aurait dû disparaître pour cause de rotondité de la Terre, il en déduisit que la Terre ne pouvait pas être courbe, en forme de globe, mais plate.

Des foules d'Internautes depuis plus d'une décennie viennent donc démontrer de la même manière, avec vidéos et photos à l'appui, que des villes distantes ne devraient plus être visibles, alors qu'elles le sont. S'ensuivent des démonstrations sur les trajets des avions (ne pouvant qu'expliquer la platitude de la Terre), l'Antarctique qui serait un mur circulaire qui enserrerait la terre-pizza cosmique, etc. Le plus intéressant dans ce dogme est que c'est le bon sens et l'expérience directe qui prévalent, en opposition avec la complexité que requiert toute résolution de problème. La rotondité de la Terre a été démontrée mathématiquement avant même qu'on puisse l'observer depuis l'espace. Mais cette démonstration n'est pas à la portée de la majorité, c 'est-à-dire ceux qui n'ont pas un niveau de mathématiques suffisant. Tout comme les sciences économiques, sociales, politiques ne sont pas à la portée de tous. Surtout quand elles sont biaisées afin de parvenir à créer un discours militant à visée doctrinaire et propagandiste, pour un camp ou pour un autre. 

Le platisme fait appel à de nombreux biais cognitifs propres à tous les systèmes doctrinaire et dogmatiques. Il obsède ceux qui y adhèrent, obligent à lutter contre tous ceux qui le contestent, permet d'expliquer de nombreux phénomènes complexes en simplifiant et en réduisant cette complexité par une explication univoque. L'objectif final  des platistes reste le "grand dévoilement", comme pour les woke de droite, et donc l'éveil des "moutons", ceux qui ne comprennent pas la réalité telle qu'elle est véritablement. Ce qui chez les Woke de gauche se traduit par l'éveil aux luttes menant à la fin patriarcat et des pouvoirs dominants majoritaires et à "sauver la planète". Le combat des platistes n'est donc pas éloigné de celui des doctrinaires politiques actuels.  Et un brin d'histoire, même rapide ne peut pas faire de mal, pour comprendre ce qu'engendre ce genre de phénomènes psycho-sociaux.

Du petit livre rouge de Mao aux résumés du Giec et la haine du Juif 2.0 

Comprendre l'endoctrinement des foules actuelles peut se faire en se référant à l'histoire. De Mein Kampf au Petit livre rouge de Mao, des ouvrages de "science politique" sont venus emballer les foules et les souder autour d'une théorie censée contenir tous les éléments permettant de résoudre les problèmes de leur société avec la promesse d'un avenir sinon glorieux, au moins meilleur. Le Petit livre rouge se nommait en réalité "Les Plus Hautes Instructions". Un manuel politique dont s'est emparée une partie de la jeunesse française étudiante à l'époque, ainsi que des intellectuels de gauche. Le résultat en Chine, avec la Révolution culturelle qui suivie, fut au bas mot 20 millions de morts. Par famine, mais aussi par exécutions de masse. Avec des délations, d'enfants à l'encontre de leurs parents, entre autres. 

Aujourd'hui, les endoctrinés progressistes brandissent un résumé du rapport du Giec pour expliquer la nécessité d'appliquer leurs idées (véganisme, écoféminisme, limitation des populations dans leurs transports, obligations à changer de comportements, etc). C'est un document qui se veut scientifique, comme celui de Mao. Même s'il n'est pas rédigé par des scientifiques mais par des politiques et contient des constats en contradiction avec les rapports scientifiques dont ils sont censés être issus. Le "Manuel des plus hautes instructions pour lutter contre le dérèglement climatique" ne doit pour autant pas être discuté, sous peine de perdre son travail pour des chercheurs, interdits de médias pour d'autres, qualifié de négationnistes du climat, etc… Pour d'autres thèmes propres au wokisme de gauche, des ouvrages des sciences sociales, historiques, sur le genre, l'intersectionnalité, etc, sont eux aussi brandis comme des bibles à caractère scientifique et ne peuvent pas être contredits, même quand ils contiennent nombre de fausses informations, arrangements avec la réalité, exagérations en tout genre et autres biais sophistes. 

La droite éveillée ne fait évidemment pas mieux, avec ses auteurs incontournables, penseurs en 280 caractères, influenceurs YouTube incultes, qui invitent par exemple un historien pro-Hitler expliquant que ce dernier avait passé son enfance dans le monde rural allemand… Ce n'est même plus l'antisémitisme (confondu aujourd'hui avec l'antisionisme) qui anime les foules endoctrinées de l'alt-right, mais la haine des Juifs. La nuance est importante puisque les mêmes qui dénoncent un complot juif mondial, soutiennent les politiques génocidaires du Premier ministre israélien. Les endoctrinés 2.0 ne croient plus en rien. Sauf au dogme auquel ils ont adhéré. 

C'est alors la possibilité de nier des pans de l'histoire, ou de les écarter, de promouvoir la science mais seulement celle qui correspond au dogme, ou censurer une partie de celle-ci si elle ne s'accorde pas au dogme. Pour n'importe quel camp doctrinaire. Et c'est là que nous en sommes. Ma question de conclusion vient alors : comment fait-on, lorsque l'on refuse d'être endoctriné, pour continuer à penser le monde, échanger et chercher des solutions en utilisant la nuance et la réalité des faits plutôt que la croyance aveugle dogmatique ?

Je n'ai pas la réponse…